Philosophe ou sophiste ? Ce que Platon peut apporter au marketing
Les débats sur la valeur de la parole et la meilleure façon de persuader ou de convaincre ne sont pas neufs. Dès l’Antiquité grecque, Platon s’est notamment opposé à une génération naissante de rhéteurs, appelés les sophistes. Cette opposition célèbre peut nous apporter quelques précieux enseignements sur notre façon de concevoir le marketing (de contenu).
Chaque homme politique voudrait connaître la recette infaillible permettant de convaincre tout en chacun que ses opinions ou ses actions sont les meilleures qui soient. Le marketing, lui, cherche souvent à nous persuader que ce sont les produits proposés par telle ou telle entreprise qui sont les plus à même de changer notre vie.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, cet exercice de persuasion n’est pas né avec la société de consommation qui est la nôtre. Il était déjà pratiqué dans l’Antiquité grecque, non pas pour vendre un produit, mais bien pour défendre une idée devant une assemblée.
L’antilogie, ou quand le vrai importe peu
Platon, immensément connu pour avoir mis en scène Socrate dans de nombreux traités, est, comme l’ensemble des penseurs de la Grèce antique, très attaché au rôle du langage dans le débat public. En grec, logos signifie à la fois la langue et la raison. Le langage sert à articuler la pensée et cette dernière ne peut être exprimée sans la langue. Ces deux éléments sont indissociables et doivent servir à défendre la « sainte trinité » de l’Antiquité grecque : le vrai, le beau et le juste.
Au IVe siècle avant Jésus-Christ, à l’époque de Platon, de nombreux rhéteurs d’un nouveau genre monnayaient leurs services pour défendre des citoyens devant différentes assemblées, dont des cours de justice. Ceux-ci se réclament du sophisme, un véritable courant de pensée dont les plus fameux représentants – Gorgias et Protagoras – avaient tout le respect de Platon.
Cela dit, à la différence de leurs illustres aînés, les nouveaux sophistes s’embarrassent peu de la vérité, du beau ou du juste. L’antilogie est leur paradigme : ils affirment pouvoir défendre deux opinions entièrement contraires avec la même efficacité. Que l’une de ces idées soit fausse, par exemple, importe peu.
Platon, s’il n’est pas forcément opposé à la logique utilitariste des sophistes, accorde toutefois trop d’importance à la défense du vrai, du beau et du juste pour ne pas s’opposer à cette torsion du langage destinée à lui permettre de dire tout et son contraire. Pour lui, l’efficacité doit être mise au service de ces principes, ou bien tout discours est vain.
Persuader ou convaincre
Si cette conception morale du discours peut, a priori, rencontrer l’adhésion de tous, elle ne nous dit rien sur l’efficacité du procédé. Or, en tant que marketer, je peux tout à fait me faire sophiste si j’ai la garantie que ma mission – permettre à mon client de mieux vendre ses produits et services – sera remplie. Quel serait mon avantage à ne pas recourir aux méthodes de Protagoras et compagnie ?
C’est là qu’il faut poser l’argument décisif développé par Platon, notamment dans son traité Gorgias. Selon lui, les méthodes des sophistes, visant à persuader l’interlocuteur, utilisent la sensibilité, la séduction, les sentiments afin de l’amener à penser, croire, ou faire quelque chose. Le philosophe, lui, fera appel à la raison de son interlocuteur afin de le convaincre qu’une opinion argumentée mérite d’être adoptée. Il va sans dire que cette dernière méthode est, pour Platon, celle qui a le plus de valeur car elle repose sur l’assentiment de l’interlocuteur, son adhésion active.
L'appel de l'authenticité
Entre sophisme et philosophie, les métiers du marketing semblent avoir, depuis bien longtemps, fait leur choix. En nous faisant croire que fumer des cigarettes nous apporterait une forme de liberté, et non le cancer, en prétendant que décapsuler un Coca-Cola était synonyme d’ouvrir du bonheur, et non d’ouvrir la porte au diabète, ou encore en nous faisant saliver devant un hamburger factice, promesse d’une expérience culinaire intense, et non d’une obésité morbide, le marketing joue depuis toujours sur notre corde sensible pour nous faire consommer, au mépris du bien, du beau ou du juste.
La différence entre le marketing et la philosophie, c’est que le premier vend d’abord des produits, et non des idées. La nécessité d’en appeler à la raison ou à la vérité, pourrait donc paraître éloignée de ses prérogatives, d’autant qu’actionner le levier du cerveau reptilien, primaire, émotif, a fait ses preuves.
Et pourtant, la conscientisation des masses par rapport aux problèmes globaux auxquels nous sommes confrontés, couplée à une circulation de plus en plus large et rapide de l’information, pourrait remettre la défense du vrai (et sans doute également du juste) au cœur des pratiques de marketing. Pour vendre plus, demain, il faudra en effet toujours plus de transparence, d’authenticité. Mentir – même avec talent – sur ses produits ou sur ses pratiques peut aujourd’hui conduire à la mort prématurée d’une marque.
De l'usage de la raison en marketing
Par ailleurs, et c’est peut-être là que l’enseignement qu’on peut tirer de Platon est le plus intéressant pour le marketing, l’usage de la raison et la recherche de l’assentiment actif de l’interlocuteur dans le cadre d’une campagne marketing peuvent avoir un impact fort et durable. Ces ressorts sont par exemple régulièrement utilisés par les associations de défense de l’environnement ou des droits humains. Si ces dernières défendent des idées, ce qui facilite cette approche, il serait intéressant de voir les résultats qu’offrirait une pareille démarche mise en oeuvre par des acteurs purement commerciaux.
Cela ne signifie toutefois pas que la persuasion chère aux sophistes soit à jeter à la poubelle. Le recours à l’émotion, à des valeurs inspirantes comme la liberté ou la rébellion, resteront de puissants activateurs de business. Pour peu que, comme le souhaitait Platon, elles ne soient pas en contradiction, a minima, avec le vérité…