Sauvez le monde, écrivez des lettres !
On a raison de louer l’efficacité des technologies qui, aujourd’hui, nous permettent de rester en contact même en période de confinement. Certains – notamment les plus âgés – ne maîtrisent toutefois pas toujours suffisamment ces outils. Pour maintenir le contact, pourquoi ne pas redécouvrir les nombreuses vertus de l’art épistolaire ?
La façon dont notre cerveau conserve au creux de ses circonvolutions la mémoire d’un événement, d’une image, d’une phrase plutôt qu’une autre reste un mystère complet.
Pour une raison étrange, je garde ainsi le souvenir assez précis de ces quelques cours, à l’école primaire, que l’on consacrait à nous enseigner les principes de base de la rédaction d’une lettre. Formules de politesse, alinéas, construction du propos… Le tout était ensuite (maladroitement) mis en pratique au travers de missives fictives.
« Alors là, je ne m’amuse pas de tout »
Tout aussi maladroites étaient les cartes postales que j’étais sommé d’envoyer à quelques membres de la famille triés sur le volet lors des camps de Patro annuels auxquels nous participions, mes deux frères et moi. Il faut dire que, si l’adresse nous avait été fournie à l’avance, le propos, lui, était laissé à ma libre appréciation. Il n’était alors pas rare que mon amour de la fantaisie me fasse commettre par écrit quelque impair, évidemment réprimandé à mon retour.
Cela dit, que de pépites pouvaient parfois se forger, lorsqu’on laissait à l’enfant la liberté d’écrire ce que bon lui semble. La palme, sans conteste, revient à l’un de mes cousins qui, au dos d’une carte envoyée à ses parents depuis une colonie à laquelle il n’avait visiblement pas volontairement choisi de participer, s’était contenté d’écrire cette formule lapidaire : « alors là, je ne m’amuse pas du tout ».
Y décrire les peurs et espoirs comme chaque expédition
Mais l’intérêt de la lettre dépasse toutefois largement ces quelques savoureux souvenirs. Il y a quelques années, au retour d’un long voyage à travers le monde et sans emploi, j’avais accepté de vider une maison située dans un petit village de la vallée de la Semois, en Belgique. Trois générations s’étaient succédé dans cette bâtisse, qui était remplie de souvenirs, parfois très anciens. La consigne était de tout trier, et de conserver ce qui avait un intérêt pour la mémoire locale.
Diantre, que ce fut long ! Mais de cette fouille méthodique ressortirent quelques perles épistolaires, des courriers écrits tout au long du XXe siècle, d’avant la première guerre jusqu’aux années 70. D’une écriture soignée, les auteurs y décrivaient par le menu leurs difficultés, leurs peurs et espoirs, les nouvelles reçues d’autres connaissances, l’incroyable expédition que semblait être un voyage de la gare la plus proche jusqu’au fond de la vallée…
Un support pour une communication authentique
La lettre est une sorte de reliquat d’un autre monde, un temps où tout était plus lent et où il n’était pas saugrenu d’entamer un long courrier le lundi, et de le terminer quelques jours plus tard, au prix de plusieurs heures d’introspection. Elle permet de livrer des descriptions détaillées, des sentiments profonds qu’on n’oserait certainement pas partager oralement, et qui n’auraient pas le temps d’émerger dans l’instantanéité que promettent les technologies modernes de communication. De par l’espace qu’elle laisse à la réflexion, la lettre est le support d’une communication véritable, qui nous connecte profondément avec nous-mêmes pour délivrer aux autres quelque chose d’authentique.
La lettre, plus que jamais utile pour rester en contact
Alors que chacun est aujourd’hui confiné, on a beau jeu d’expliquer que les nouvelles technologies permettent à tous de rester en contact. Malheureusement, certains ne disposent pas de ces technologies ou ne savent simplement pas comment les utiliser. A l’heure où il est tout simplement interdit de mettre un pied dans une maison de repos, va-t-on laisser des centaines de grands-pères et de grands-mères sans nouvelles durant toute la période de confinement ?
Ceci constituerait une forme de souffrance intolérable.
Votre soutien (sans réserve) épistolaire
C’est là que la lettre peut encore démontrer toute son utilité. Prenez quelques feuilles de papier, retrouvez un stylo (bille) et réapprenez à vous poser pour réfléchir sur ce que vous voulez communiquer à ces personnes pour l’instant inaccessibles : de petites choses du quotidien, des nouvelles des proches, des réflexions sur la situation que nous vivons tous et, bien sûr, votre soutien pour traverser ces épreuves.
Demandez à vos enfants en âge d’écrire de faire de même. Ils apprécieront certainement de livrer leur propre vision de la situation à leur grand-mère, grand-père ou à n’importe quel autre proche. Et peut-être que vous apprendrez vous-même certaines choses à propos de leur ressenti. Au fil des envois et des réponses reçues, c’est tout un cérémonial qui pourra être mis en place avec eux pour écrire les courriers et lire ceux reçus en retour.
Mettez donc à profit le temps à votre disposition pour goûter à nouveau à l’art épistolaire.
Certes, vous ne sauverez peut-être pas le monde de la sorte (oui, j’ai menti) mais, en plus de réconforter des proches très isolés, vous redécouvrirez les immenses vertus de la réflexion et de la lenteur.